LIAISON ROMAINE Jean-Pierre AMETTE

Fiasco papal

Le pape Jean-Paul II se meurt. Nous sommes en 2005. Un hebdomadaire français envoie à Rome l’un de ses journaliste pour y écrire «　un papier d’ambiance　». Il s’agit de  Jacques-Pierre Amette( prix Goncourt 2003), reporter au «　Point　». La Ville éternelle, il la connaît, il y a séjourné plusieurs fois. Mais là, ça va être autre chose: «　je vais flâner dans Rome et savoir ce que pensaient les romains de ce pape polonais. L’article de 6000 signes environ, devait donner [l’atmosphère]de la ville, sa faveur　».

Fi des statistiques et de ses renseignements pratiques sur cet «　événements　»…..l’envoyé spécial se promène. «Je trouvait tôt un pétillement romain: poussière lumineuse, craie pure au fond des jardins, rues immenses, immeubles suspendus dans la pâleur du ciel, cabanes, ordures, reflets d’eau, soleil radieux des églises, quartiers plein de mystères, pèlerins égarés, mûres et sauge, terrasse d’or des grandes villas　» Que vient faire là-dedans l’agonie du pape? Le journaliste qui ne connaît rien aux «　choses «　 de la foi, se sent pris au piège.　

Heureusement il n’est pas venu seul. Constance, son amie de huit ans et de vingt ans sa cadette, l’accompagne. Elle est là, dans cette pénombre de Rome baignée de sexe et de concupiscence. Ils préfèrent vagabonder, oubliant souvent l’agonie du pontife. Mais l’idée de mort n’est pas loin de la chair. Alors ils marchent, ils visitent Rome dans tout son éclat, négligeant les préparatifs des funérailles. Pourtant on lui réclame son papier: alors il trouve des expression comme «　passant de l’éternité　»,qu’il trouve ridicule. Qu’importe, il a Constance qui, curieusement semble s’éloigner. Prendre ses distances. 

Au fait, que connaît-il d’elle, de son enfance, de Nevers sa ville natale? «　je m’interroge avec de plus en plus d’insistance, surtout pendant les insomnies. Pourquoi Constance conservait-elle, sous sa tranquillité apparente , un secret inquiétant, elle qui ne m’avait jamais amené à Nevers?　» C’est Marguerite Duras qui dans «Hiroshima mon amour　» écrit:　»Nevers, tu vois, c’est la ville du monde, et même c’est la chose du monde à laquelle, la nuit, je rêve le plus　»

Alors Rome, alors qu’un pape agonise… alors Constance, sa bien-aimée le quitte brutalement, alors que son reportage est refusé! Tout à coup la lucidité: «　j’avais cru faire du journalisme, j’avais cru aimer quelqu’un ,mais non, j’avais traversé un paysage de fantômes, j’étais gravé sur un DVD qui tournait à vide　» Restait Rome et ses «　arbres droits et inutiles　»

Avec «　Liaison romaine　» Amette vient d’écrire son livre le plus clairvoyant. Peut-être le plus effrayant.

André Rollin - le Canard Enchaîné 23 mai 2012

Jacques-Pierre Amette est un écrivain et critique littéraire français né le 18 mai 1943 à Saint-Pierre-sur-Dives (Calvados), connu également sous le pseudonyme de Paul Clément.