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CERCLE LECTURE JEAN MACE
3 septembre 2012

LES ANNEES PIEDS-ROUGES Catherine SIMON

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Le rêve oublié des pieds-rouges

Mohammed Yedsah

 

« Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l'indépendance au désenchantement (1962-1969) » de Catherine Simon est « la fresque d'une époque, d'un pays, d'une aventure humaine » annonce la dernière phrase de la quatrième de couverture. Cette entreprise ambitieuse mérite d'être soulignée, bien que l'ancienne reporter en Algérie du journal français Le Monde peint cette époque en noir et blanc. En regardant les engagements et les combats d'hier avec l'œil déchanté d'aujourd'hui, notamment sur les mouvements d'indépendance, elle a réduit un tant soit peu son important travail. Dans son enquête, Catherine Simon a eu l'avantage de se procurer des archives personnelles inédites. Elle a aussi inclu les rares ouvrages sur cette période, les archives des médias de l'époque, en plus des multiples entretiens qu'elle a eus avec les acteurs vivants de cette époque ou les proches de certains disparus. Une partie des personnes interviewées ou citées se trouvent dans l'ouvrage du jeune historien Sylvain Pattieu, « Les camarades des frères » (1), d'autres ont écrit leur propre autobiographie. 

Avec onze chapitres, le bouquin aborde l'été de l'indépendance en 1962, la reconstruction du pays, la place des femmes, le cinéma, le maquis de Kabylie, le règne du premier président algérien Ahmed Ben Bella, la torture des opposants et bien d'autres sujets en tentant de rendre compte des parcours des pieds-rouges. « Venus d'Europe le plus souvent, de France surtout, ceux qu'on appellera les « pieds-rouges » forment une nébuleuse inédite, sorte de « pieds-noirs à l'envers », ramant à contre-courant de l'opinion française dominante de l'époque, qui veut oublier l'Algérie, le boulet de la colonie et les sept longues années d'une guerre d'indépendance (1954-1962) terrible et meurtrière. Ces jeunes anticolonialistes ont tous le cœur à gauche ». La séparation qu'établit Catherine Simon entre militants pieds-rouges et des militants algériens rend les choses un peu floues. Par ailleurs, elle n'évoque pas les passerelles entre les militants pieds-rouges et les pieds-noirs. Un nombre important de ces derniers, contrairement au mythe entretenu, sont restés en Algérie et ont participé pour nombre d'entre-eux à l'édification du nouvel État algérien (2). L'auteure a donc dessiné une frontière visible entre les militants pieds-rouges et le reste dans une Algérie en pleine transformation, où souvent d'ailleurs les lignes sont tracées par la couleur politique. 
« Le coup d'Etat de Boumediene, le 19 juin 1965, a signé la fin d'un cycle. Le festival panafricain d'Alger de 1969 clôt symboliquement cette période » estime-t-elle. Or le choix chronologique clôt arbitrairement l'histoire des pieds-rouges. Il est en contradiction avec les « repères biographiques » ajoutés à la fin de l'ouvrage. On découvre les départs tardifs de certains pieds-rouges et des arrivées ultérieures à l'indépendance; certains d'entre-eux connaissaient l'Algérie depuis longtemps, dont Henri Alleg, l'auteur de La Question et fondateur du journal anticolonialiste Alger-Républicain. En réalité, l'auteure s'est intéressée aux militants francophones, sans pour autant rendre intelligibles les courants politiques des ces pieds-rouges. Elle a aussi évacué de son enquête la partie des « coopérants » français, russes, hongrois, yougoslaves, égyptiens, dont il aurait été intéressant de connaître les motivations, outre salariales, puisqu'il s'agit d'une œuvre qui a voulu rendre compte d'une période historique délimitée. De nombreux pieds-rouges ont eu d'ailleurs le statut de coopérant, hormis ceux qui étaient encore sous la menace de condamnation en France pour leur engagement passé. 
En évoquant le phénomène des « biens vacants », maisons, terres et usines abandonnées par les anciens colons, Catherine Simon voit en lui « le temps des petites impostures, des trafics, des filouteries en tous genres », mais pas un phénomène inédit d'appropriation des anciens colonisés des biens des anciens maîtres. Le trafic était dérisoire au regard du phénomène d'appropriation des populations souvent pauvres et qui vivaient dans des bidonvilles en face de quartiers riches « européens ». Cette expérience marquera l'imaginaire populaire. Il arrive actuellement que des maisons abandonnées ou des immeubles entiers en plein construction se font appropriés par de nombreuses familles, venant parfois d'un même quartier pauvre. Le phénomène des biens vacants à l'indépendance n'est pas à dissocier de celui de l'autogestion, pratique spontanée des déshérités auxquels se sont présentées des richesses inattendues et la nécessité de se prendre en charge. Le rôle joué par le dirigeant de la IV internationale, Michel Raptis, dit Pablo, dans l'adoption des décrets sur l'autogestion par le président Ben Bella n'est pas saisi dans son essence sociale, mais plutôt présenté comme une concession et une influence de Palais. Le nouvel État algérien s'est d'ailleurs précipité pour contrôler ce mouvement qui aurait pu lui échapper et le rôle de la bourgeoisie naissante algérienne n'est pas des moindres pour le contrôle des richesses. Une partie des pieds-rouges sont devenus des gestionnaires des biens vacants sous l'auspice de la République algérienne, démocratique et populaire . 

Catherine Simon suivant toujours sa logique chronologique, estime que l'image d'une Algérie anti-impérialiste et révolutionnaire a été écorchée à la fin des années soixante. Cela a été valable chez des militants aguerris, mais Alger est resté longtemps après « la Mecque des révolutionnaires ». L'atterrissage sur le Tarmac d'Alger, en décembre 1975, de l'avion détourné par Carlos, de son vrai nom Ilich Ramírez Sánchez, avec quarante-deux otages, membres des ministres du pétrole de l'OPEP, kidnappé à Vienne, allait dans le sens de cette légende algérienne. L'Algérie des années soixante-dix continuait d'accueillir des militants de l'ETA espagnol, de l'IRA irlandais, du FLNC corse, de l'ANC sud africain, de l'OLP palestinien. L'Algérie n'a jamais caché son soutien pour le Polisario du Sahara Occidental et d'autres causes. Les départs forcés de pieds-rouges n'ont donc pas participé à briser l'image d'une Algérie révolutionnaire. C'est paradoxalement, durant les années noires de 90, que l'image de l'Algérie prend un coup dans le monde entier. Parmi les autres explications données aux départs des pieds-rouges, outre la répression exercée par le régime de Boumediene à partir de 1965, la journaliste avance la politique de l'arabisation. Malgré le vif débat en cette période sur ce sujet pour la définition de son identité, la politique d'arabisation n'a pas touché dans la réalité les secteurs dans lesquels opéraient les pieds-rouges. L'administration, la grande industrie, l'enseignement supérieur, sont restés francophones jusqu'aux années quatre-vingt et dans certains cas jusqu'à ce jour. Derrière la dichotomie culturelle sur laquelle Catherine Simon insiste surgit une vision « paternaliste » de la supériorité de l'Occident qu'elle illustre dans son chapitre sur la naissance du cinéma algérien, dont elle estime le marasme dû aux départs des pieds-rouges. 

«Algérie, les années pieds-rouges » a le brio de combler un vide sur cette période historique algérienne. Il apporte de précieuses informations, reconstitue des dates, prolonge le parcours de militants anticolonialistes engagés avant ou en pleine guerre - porteurs de valises, maquisards, hommes et femmes bravant l'interdit et la morale dominante - pour la cause algérienne qu'ils estimaient juste. Ce livre peut se lire comme une sorte d'un agréable reportage sur le passé des pieds-rouges. Catherine Simon aurait pu illuminer ce miroir embrumée de militants, français et algériens, qui ont cru à un idéal et qui ont œuvré à la création d'un nouveau monde avec la révolution d'indépendance, si elle avait approfondi les raisons politiques de l'échec de cette odyssée.

Mohammed Yefsah 
(19/02/2010)
Catherine Simon, Algérie, les années pieds-rouges, Des rêves de l'indépendance au désenchantement (1962-1969) , Ed. La Découverte, Coll. Cahiers libres, 2009, 285 p., 22 euros.
1- Sylvain Pattieu, Les camarades des frères, trotskystes et libertaires dans la guerre d'Algérie , Préface Mohammed Harbi, Ed. Syllepse, 2002, 292 pages. 22 euros. 
2- Voir l'article Sans valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie , Le Monde diplomatique, Mai 2008. http://www.monde-diplomatique.fr/2008/05/DAUM/15870 


catherine simon

« Militants de gauche, d’extrême gauche, tiers-mondistes, ils sont arrivés pleins de bonne volonté et d’enthousiasme, mais leur expérience a été stoppée net, en 1965, par un coup d’Etat bonapartiste, celui du colonel Boumediene. Ils ont été arrêtés, parfois torturés, et renvoyés en France.Les "pieds-rouges" appartiennent au camp des vaincus, et ce sont lesvainqueurs qui écrivent l’Histoire. Leur drame est de ne pas avoir compris la nature du nationalisme algérien. Ils en avaient une perception floue, marxisante, laïque. Ils ignoraient qu’un de ses piliers était l’islam, religion d’Etat dès 1963. Après Mai 68, on ne parle plus de l’Algérie. Le livre important de Catherine Simon lève le voile sur ce "chaînon manquant" des histoires algérienne et française. »

Benjamin Stora, L’Express , 17 septembre 2009.

J'ai eu l'occasion de rencontrer C.SIMON à la librairie Passage à Lyon lorsqu'elle est venue présenter son livre en 2009. Elle m'a passionnée et surtout fait découvrir un épisode de l'histoire algérienne qui m'était totalement inconnu. Il est bon de se souvenir des événements récents pour comprendre le monde que nous vivons.

 

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